La création de la fuzz et des premières pédales d'effets
On commence une longue série de vidéos et d'articles sur l'histoire de la fuzz, en compagnie d'Alex et Julien, avec un premier épisode sur la création de l'effet de fuzz. On y parlera de l'apparition progressive des premiers modèles que sont la Maestro FZ-1, La Sola Sound Tone Bender, et la Dallas-Arbiter Fuzz Face.
Les origines de la fuzz dans le matériel défaillant
La fuzz est à l'origine de toute l'industrie de la pédale d'effet que l'on connait aujourd'hui. Probablement la manière la plus radicale de changer le son, on commence à voir apparaitre cet effet par erreur ou accident, dû à des disfonctionnements sur des amplis ou consoles, comme la basse sur Rocket 88 de Ike Turner. Certains provoquent aussi volontairement cet effet, comme Link Wray qui, dans le mythique morceau Rumble, source d'inspiration de nombreux guitaristes mythiques qui suivront par la suite, déchire le haut parleur de son ampli à coups de lames de rasoir, pour obtenir un son sale et granuleux.
Mais l'histoire de la fuzz en format pédale va commencer avec l'ingénieur Glenn Snoddy. Présent pendant l'enregistrement du morceau Don't Worry de Marty Robbins, Glenn Snoddy est séduit par le son fuzzy de la basse branchée directement dans la console. Au vu du succès que remporte le morceau, véritable révolution dans le son de l'époque, Snoddy décide de développer un circuit reproduisant cet effet distordu, donnant ainsi naissance à la Maestro FZ-1, toute première pédale d'effet à voir le jour. Présent également pendant l'enregistrement du morceau The Fuzz de Grady Martin, Glenn Snoddy branche alors un premier prototype de sa pédale, encore en cours de développement, ce qui fait de ce morceau le premier enregistrement à utiliser une pédale d'effet.
La Maestro FZ-1, la première pédale d'effet
A sa sortie en 1962, la FZ-1 est un échec total, vendue à l'époque comme un effet pouvant simuler un son de trompette ou saxophone. La guitare n'est pas encore un instrument populaire, et il faudra attendre 1964 et le succès des Beatles aux Etats-Unis, pour que de nombreux groupes de rock commencent à se former, faisant exploser l'industrie de la guitare. Mais la FZ-1 va connaitre son heure de gloire en 1965 avec les Rolling Stones. Keith Richards, voulant une section de cuivres sur le morceau Satisfaction, enregistre dans un premier temps le riff avec sa guitare branchée dans une FZ-1, en attendant un enregistrement studio des cuivres. Finalement, le morceau sort sans la section de cuivres, et sans l'accord de Keith Richards, qui découvrira seulement après sa sortie que son riff de fuzz a été gardé sur l'enregistrement par les autres membres.
La FZ-1 procure un son très nasillard et plein d'aigus, dû à son circuit qui n'est pas du tout optimisé par rapport à ce que l'on peut trouver aujourd'hui. La pédale est basée sur un circuit à 3 transistors germanium, ajoutant un contenu harmonique important, ce qui engendre des aigus perçants. Le réglage de gain est aussi câblé d'une façon étrange, qui agit à la fois sur le gain et le bias de la pédale. La FZ-1 sort dans un premier temps avec des transistors germanium 2N270, et est alimentée en 3V par 2 piles AA, ce qui est aussi sûrement responsable du son particulier de la pédale. Après le succès de Satisfaction, Maestro lance la FZ-1A, légèrement revue avec des transistors germanium 2N2614, et une seule pile AA 1,5V ! La FZ-1 connait ensuite d'autres évolution, avec le passage aux transistors silicium alimentés en 9V sur la FZ-1B, puis la FZ-1S, au circuit complètement différent.
L'arrivée de la fuzz en Angleterre avec la Tone Bender
La FZ-1 se démocratise peu à peu, mais reste quand même majoritairement aux Etats-Unis, les importations en Europe étant compliquées à l'époque. Dans le milieu des années 60 en Angleterre, Vic Flick, guitariste de session connu pour avoir interprété le fameux thème de James Bond, ramène une FZ-1 à Gary Hurst, vendeur au Macari's, célèbre magasin de musique londonien, réputé pour bricoler et modifier du matos. Vic Flick lui demande un effet similaire, mais avec plus de sustain et de graves. Gary Hurst se met donc au travail, et conçoit la Tone Bender, qui sera vendue par le Macari's dès 1965 sous la marque Sola Sound.
La Tone Bender MKI est donc une amélioration de la Maestro FZ-1, avec principalement un changement de capa pour ramener des basses, et une augmentation du gain. Elle propose aussi un format plus optimisé pour l'utilisation en tant que pédale, la FZ-1 étant plutôt pensée pour être posée sur l'ampli, avec son câble de sortie intégré et ses réglages derrière le boitier. On retrouve les contrôles de volume et de gain, appelé "Attack", et un boitier en tôle pliée à la finition dorée caractéristique de la MKI. Parmi les utilisateurs connus de la Tone Bender MKI, on peut citer Pete Townshend des Who, Jeff Beck des Yardbirds, Mick Ronson, guitariste de David Bowie dans les années 70 sur la période glam Ziggy Stardust.
Dans la même période que la Tone Bender MKI, apparait quasiment en même temps la Zonk Machine, utilisée notamment par Marc Bolan du groupe T.Rex. Elle a probablement été développée en parallèle de la Tone Bender, pour répondre aux mêmes problématiques de basses et de sustain de la FZ-1, à la différence que la Zonk Machine utilise un transistor au silicium, plus stable et moins sensible aux variations de température.
La Tone Bender MK1.5, la transition non officielle
Comme on l'a vu, la Tone Bender reprend le circuit à 3 transistors de la FZ-1. Officiellement, Sola Sound améliore sa pédale, en passant de la Tone Bender originale, renommée pour l'occasion MKI, à la Tone Bender MKII, toujours basée sur 3 transistors. C'est seulement des décennies plus tard qu'un collectionneur suédois, Dennis Johannsen, décide d'ouvrir sa Tone Bender MKI, et se rend compte avec surprise que le circuit ne comporte que 2 transistors. Il contacte Gary Hurst, qui lui confirme qu'il y a eu quelques modèles de transitions entre les MKI et MKII. Dennis Johannsen décide alors tout naturellement d'appeler cette version à 2 transistors "Tone Bender MK1.5".
La MK1.5 a un son beaucoup plus doux que les autres Tone Bender, avec moins de gain, et une innovation dans le circuit, avec l'arrivée du "negative feedback", une sorte de boucle qui réinjecte une partie du signal de sortie à l'entrée des transistors, ce qui permet de garder un bon niveau de gain tout en ayant enlevé un transistor.
La Fuzz Face, la pédale ronde mythique
L'histoire de la Fuzz Face commence dans le magasin d'Ivor Arbiter, importateur et fabriquant de matos, situé également dans la mythique rue londonienne de Denmark Street, connue pour ses nombreux magasins de musique donc le Macari's fait aussi partie. Ivor lance la marque Dallas-Arbiter, avec la Fuzz Face, reprenant simplement le circuit à 2 transistors de la Tone Bender MK1.5, pour un prix inférieur, et de très légères modifications sur le bias et des basses légèrement moins présentes. Le nom de la pédale s'inspire de son design, avec un boitier reprenant un pied de micro d'époque rond, et ses deux contrôles, formant avec le logo Dallas-Arbiter un visage souriant.
La pédale, indissociable de Jimi Hendrix, sort d'abord avec des transistors germanium, avant de passer sur des transistors silicium, plus stables. Cependant, comme toutes les fuzz de l'époque, on pouvait constater des différences de son importantes entre les différentes pédales, dues aux tolérances des composants qui variaient grandement d'un modèle à l'autre. C'est pour cela qu'à l'époque, de nombreux musiciens testaient des dizaines de Fuzz Face, avant de trouver celle qui correspondait à leur besoin, et que des artistes comme Jimi Hendrix faisaient modifier leurs pédales par des ingénieurs comme Roger Mayer, pour garder une certaine unité et cohérence dans leur son.
La Tone Bender MKII, la fuzz de Jimmy Page
Sola Sound sort donc en 1966 la Tone Bender MKII, appelée Professional MKII, avec un boitier argenté, la différenciant de la MKI dorée. Adoptée par Jimmy Page, la MKII sera à l'origine du son du premier album de Led Zeppelin, faisant instantanément le succès de la pédale. C'est aussi pendant la phase de la MKII que les Tone Bender commencent à être produites par Vox en Italie.
Electroniquement, la MKII comporte toujours 3 transistors, mais n'a plus rien à voir avec la MKI. Il s'agit en fait d'une MK1.5, avec les 2 transistors et le negative feedback, combinée à un troisième transistor qui fait en quelque sorte office de buffer et d'étage de gain, permettant d'adapter l'impédance d'entrée pour que la pédale fonctionne toujours dans les mêmes conditions peut importe l'instrument connecté devant. Ce qui explique aussi le fait que la MK1.5 n'ait jamais été officiellement sortie, quand on connait les problèmes d'impédance et de placement caractéristiques des Fuzz Face. On pourrait comparer le circuit de la MKII à une Fuzz Face combinée à un treble booster ouvert.
La Mosrite Fuzzrite, la fuzz garage
En même temps que la Tone Bender MKII, Mosrite, fabricant de guitares au design futuriste basé à Backersfield en Californie, conçoit du matos pour le groupe The Ventures. Ils fournissent au groupe des guitares et des amplis, équipés d'un circuit de fuzz développé par la marque. Mosrite décide ensuite de sortir ce circuit de l'ampli pour en faire une pédale, la Mosrite Fuzzrite, que l'on peut entendre sur le morceau The 2000 Pound Bee du groupe. Le son est très caractéristique et diffère totalement des Fuzz Face et Tone Bender, avec une fuzz perçante et gatée typique des sonorités garage de l'époque, et même actuelle chez les Black Keys et les White Stripes.
La Tone Bender MKIII, l'apparition du contrôle de tone sur les fuzz
Entre 1966 et 1968, Burns, marque de guitares et basses britanniques, sort la Buzzaround. Cette pédale de fuzz propose un nouveau circuit, que l'on peut comparer à une Fuzz Face suivie d'un autre étage à transistor avec un clipping par une diode germanium. JMI rachète les droits de la pédale, puis sort la Tone Bender MKIII. La MKIII est donc encore différente des autres Tone Bender, et intègre pour la première fois un contrôle de tone, qui électroniquement diffère un peu du contrôle de balance présent sur la Burns.
Le comparatif à l'aveugle
Evidemment, on ne pouvait pas finir cette première partie sur les premières fuzz sans un comparatif à l'aveugle, c'est donc le sujet de l'épisode 1.5 !
Après un petit tour de chauffe, histoire de se faire les oreilles, Julien se bande les yeux et essaie de reconnaitre les différents modèles du board. Le test commence difficilement avec la Fuzz Face, mais le clean up remarquable au volume de la guitare donne l'indice à Julien qui la reconnait. Il reconnait aussi la suivante, la Boss Tone Bender, au grain manquant de caractère. Pareil pour la JHS Bender, copie de la MKIII, au son beaucoup plus feutré. Le côté perçant pleins d'aigus de la EHX Satisfaction fait hésiter Julien avec la Fuzzrite, qu'il arrive tout de même à départager, en revanche il confond Tone Bender MKI et MKII, perturbé par le retour des basses après l'essai de la Satisfaction. Au final, on reconnait quand même assez bien la plupart des grains des différentes pédales, et Julien s'en sort très bien avec un score de 5.5/7 !
L'arrivée de la fuzz a révolutionné la musique, permettant de nouvelles textures sonores encore jamais entendues. Les premiers modèles sont principalement des copies et évolutions successives de la toute première pédale, la FZ-1, avec des améliorations et modifications arrivant progressivement et de plus en plus complexes. Au niveau des pédales essayées, les Formula B retiennent vraiment notre attention, répliques conformes des Tone Bender des différentes époques, aussi bien dans le son que dans le design.
On en a fini avec ce premier épisode sur l'apparition de la fuzz, et on se retrouve pour le prochain épisode, dédié à l'histoire de la Fuzz Face silicium de Jimi Hendrix, et les premiers mods de pédales par Roger Mayer.
Guitariste et bassiste depuis un certain temps, j’ai développé une passion pour les pédales d’effets en m’intéressant à la sonorité et au matos de mes artistes préférés : Rage Against The Machine, Royal Blood, Jack White... Me permettant d’acquérir une grande culture des différents effets et modèles existants. Mais aussi de comprendre leur fonctionnement grâce à mon autre passion pour l’électronique. Avant de me lancer dans la fabrication de pédales, d’abord à titre personnel pour mes propres besoins, puis en devenant ingénieur R&D chez Anasounds. Ce qui m’a permis d’approfondir mes connaissances, tout en partageant ma passion à travers la rédaction d’articles.